• APATRIDE : 8 lettres qui en disent long !

     

    Ce n’est pas évident de décrire ce que je vois, ce que je vis... Pas facile, d’écrire ce qui me tiens à cœur,  coucher sur le papier les choses telles qu’elles sont vraiment ici. Ne pas en rajouter, ne pas minimiser... J’ai toujours eu du mal à exprimer les choses qui me touchent,  qui me sont réellement importantes. Je me suis reprise à plusieurs fois pour écrie cet article…Je n’en suis toujours pas satisfaite. Mais, il faut à un moment se lancer, alors voilà !

    Durant le mois d’octobre, j’ai passé pas mal de temps dans des programmes situés tout au nord de la Thaïlande à la frontière de la Birmanie, notamment dans deux foyers à Chiang Saen (à quelques km du triangle d’or) et dans un camp de réfugié dans le village de Laekteng  (un petit peu plus à l’est). Je m’occupe de la coordination dans l’école de Kru Chang à Lak Taeng et dans le foyer du père Pao, à Chiang Saen.

    APATRIDE : 8 lettres qui en disent long !

      

    Dans le second foyer de Chiang Saen, il y a une volontaire EDM (Nadège) qui est basée là bas etKru Nam s’occupe de l’animation. Celui-ci est un petit peu différent des autres, car il accueille des enfants des rues.  Ce sont des enfants des villages birmans qui passent la frontière pour mendier. Ces enfants sont très souvent victimes de trafic humain et Kru Nam la créatrice du foyer essaye au maximum de les récupérer  et de leur donner une chance dans la vie. Kru Nam c’est une femme extraordinaire. Autrefois designer de bijoux à Bangkok, elle gagnait très bien sa vie : « tu te rends compte j’avais plus de 20 jean Levi’s ! ». Un jour, elle n’a pas pu prendre le taxi pour rentrer chez elle et a du prendre le bus. C’est là qu’elle s’est aperçue qu’en Thaïlande, il y avait des enfants dans la rue qui n’avaient rien. A partir de là, elle a décidé qu’elle consacrerait  sa vie à aider les plus faibles.

      Enfnats du foyer de Kru Nam 

      

      

     dans le bac a poissons...

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

      

    En Thaïlande, à la frontière de la Birmanie, beaucoup d’enfants ne sont ni thaï, ni birman. APATRIDES*. Alors voilà quand j’ai fait le point sur les enfants avec le père Pao, responsable du foyer de Chiang Saen (celui dont je m’occupe de la coordination), il me dit : Alaya, elle est akkha, Arpew  également, Pimsaï shane, Suthat akkha…Je ne comprends pas tout de suite. Je me dis qu’il a du mal comprendre ma question (ca ne serai pas la première fois). Je ne lui ai pas demandée à quelle ethnie appartenaient ces enfants mais de quelle nationalité ils étaient. Je repose ma question, en thaï, en anglais…même réponse. Il m’explique qu’ici beaucoup d’enfants, de familles ne sont reconnus par aucun pays. Ils n’ont ainsi aucun droit : pas le droit d’aller à l’école, pas le droit de travailler, pas le droit d’être là où ils sont …pas le droit de vivre ? Je comprends sans vraiment comprendre. Il m’explique que certains enfants très pauvres  sont nés en Birmanie dans des villages et non à l’hôpital et ainsi pas reconnus, d’autres nés de parents birmans en Thaïlande et donc non reconnus, d’autres encore né de parents apatrides…Ils ne sont pas réfugiés car ils n’ont pas été chassé mais n’ont pour autant pas le droit d’être là où ils sont. Je vous raconte tout ca. Mais il ne faut pas oublier la tonalité thaï. En Thaïlande, on raconte les choses difficiles sur un ton léger. N’oublions pas le petit rire final…il ne faut pas perdre la face. Et je peux vous dire que c’est parfois très  déroutant pour moi occidentale.

     Enfants du foyer du pere Pao, apres un match de foot...

     Enfants d'un village pres de Chiang Saen

      

      

      

      

      

      

      

      

    Certaines familles réussissent à obtenir une carte de séjour sur un territoire limité. Les plus riches réussissent à acheter des papiers (la Thaïlande reste un pays très corrompus). Kru Chang (littéralement professeur éléphant, car quand il était petit il était gros comme un éléphant. Le problème s’est qu’avec l’âge il s’est plutôt affiné et maintenant il rssemble plus une crevette qu’à un éléphant !), responsable du programme de Lak Taeng, un soir me raconte : « tu vois les chinois, ils sont riches, alors ils arrivent  à obtenir la nationalité. Tu sais ici tout s’achète ! ». Bien évidement pour conclure un grand sourire.

     Il y également une possibilité pour certains enfants étant né sur le sol thaï,  ayant étudié en  Thaïlande et ayant un bachelor of art (l’équivalent d’un diplôme Bac +4) d’obtenir la nationalité. Mais ce ne sont pas des règles. Obtenir la nationalité thaï advient dans tous les cas de la loterie. Dans certains cas ca marche d’autres non. Dans tous les cas, si un enfant fini par obtenir la nationalité thaï il n’aura tout à fait les mêmes droits que les autres, notamment pas le droit d’excercer un métier de la fonction publique (pas le droit de devenir professeur dans une école gouvernementale, pas le droit de travailler dans l’administration publique…)

     

    Dans le foyer du père Pao, de Chiang Saen, il y a une petite fille :  Ame. Ame, elle a 12 ans. Elle a perdu ses parents. Ame, c’est une enfant un peu plus lente que les autres. Ame, elle ne pourra jamais obtenir l’équivalent d’un bachelor of Art et ainsi n’a pas de recours pour obtenir la nationalité thaï. Elle n’a pas non plus la possibilité d’accéder à un centre pour les enfants comme elle. En Thaïlande il existe bien des centres pour des enfants un peu plus lents, mais Ame elle n’est pas thaï….  Sali est une adolescente du foyer de Kru Nam, elle a 18 ans. Elle a été abusée sexuellement de nombreuses fois.  Salie, comme Ame, elle est différente des autres enfants et  elle n’est pas thaï…. Donc pas de possibilité d’avoir une place dans un centre pour les enfants comme elle. Alors Salie, elle est un peu à part dans le foyer de Kru Nam, elle n’a pas vraiment d’amie. Pourtant, malheureusement,  Ame et Salie ne sont que des exemples…

     Le 7 novembre dernier, le monde titre un de ses articles : « L’UE salue l’ouverture en Birmanie » (http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2011/11/07/l-ue-salue-l-ouverture-en-birmanie_1599811_3216.html). Certes l’article est tout de même beaucoup moins optimiste que son titre.  Mais voilà, j’ai lu cet article peu de temps après avoir passé quelques jours à Lak Taeng.

     A Lak Taeng, Enfants du Mekong parraine des enfants dont quasiment la totalité vit dans le camp de réfugié de Khung Jor. Le camp de Khung Jor est un petit peu différent des autres camp, car dans celui-ci les familles ont le droit de sortir, elles ont le droit de travailler. Mais elles doivent informer le chef du camp de chacun de leur déplacement et rentrer au camp tous les soirs. Les enfants du camp ne sont pas thaï et n’ont donc théoriquement pas accès à l’éducation. Mais Kru Chang, pour aider les siens, a créé une école primaire. Cet école accueille aujourd‘hui à la fois des enfants ayant fuit la Birmanie mais aussi quelques enfants chinois. C’est une vraie chance pour eux. Depuis un an, elle permet aux enfants diplômés de l’école primaire, d’accéder à l’école gouvernementale secondaire. Plus les enfants sont diplomés, plus ils peuvent prouver qu’ils ont passé un temps définis en Thaïlande et plus ils ont une chance d’obtenir la nationalité thaï.

     Point d'eau du camp de refeugie de Khung jor. Au camp un point d'eau pour 8 a 10 familles

     Le camp de Khung jor

      

      

      

      

      

      

      

      

    Les familles du camp de Khung Jor sont shan (une minorité ethnique). Elles ont fuit à la fois la Une famille du camp misère** mais aussi les persécutions de l’armée birmane (travail forcé, racket…). Un soir, dehors, sur le sommet d’une petite montagne,  dans le jardin de Kru Chang, en sirotant un Fanta (sans bulle) et dégustant des kanoms (si vous vous souvenez bien, les kanoms se sont des snacks J), Kru Chang me raconte l’histoire de son peuple. Avant la colonisation de la Birmanie par les anglais, les shan avaient leur propre état. Quand l’Angleterre à quitté la Birmanie en 1948, les anglais ont promis aux Shan qu’ils obtiendraient leur indépendance dans 10 ans. Le peuple shan a attendu 10 longues années en vain. En 1958, ils ont réclamé leur indépendance, mais l’armée birmane les a rejetés. Depuis 1958, les shans se battent pour leur indépendance. En discutant plus longuement avec kru Chang, il me fait remarquer : « toi tu es jeunes, pourtant tu as vu pleins de pays ! » (il faut savoir que Kru Chang n’a obtenu la nationalité thaï que depuis 2 ans). Je lui réponds que c’est vrai (en même temps que puis je répondre d’autres ?), puis avec un petit sourire je lui dit que lui est allé dans deux pays : en Birmanie et en Thaïlande ! Là il me regarde froidement, je comprends vite que j’aurai mieux fait de me taire. IL me dit qu’il n’est jamais allé en Birmanie mais dans l’Etat shan. Je peux vous dire que pendant tout mon séjour à Lak Taeng j’ai fait très attention à bien distinguer l’état shan de la Birmanie.

     Kru ChangUn peu plus tard, Kru Chang m’embarque sur sa moto et m’emmène au temple. Le temple se situe juste à la frontière de la Thaïlande et de la Birmanie. Il me dit : « observe » ! Je prends le temps de regarder : là je vois sur chaque sommet de montagne une armée. Il m’explique : «  tu vois sur cette montagne, il y a l’armée shan, celle-ci l’armée birmane, celle-ci l’armée thaï. Entre chacune des montagnes, c’est un no man’s land. Surtout il ne faut pas y aller. » Bon en même temps, je n’avais pas vraiment l’intention d’y aller... Le lendemain, il y a une fête au temple, la situation est burlesque :  côté thaï, les familles du camp et du village font la fête. Côté birman, les militaires attendent observent la fête… La journée se passe, le soir, Kru Chang est inquiet. Il se confie et m’explique qu’il vient d’avoir des informations comme quoi l’armée birmane devrait attaquer l’armée shan. Sauf que voilà, l’école qu’il a créée pour scolariser les enfants shan se situe tout près de la frontière. Les familles vont donc peut-être obligées de quitter le village et le camp. Et puis beaucoup des pères des enfants du camp se battent dans la SSA (shan state army)...A ce jour, je n’ai reçu aucune confirmation de cette information.

     APATRIDE : 8 lettres qui en disent long !

     Les filles de l'equipe de danse de l ecole, habille en habits traditionnel pour la fete

      

      

      

      

      

      

      

      

    Ce qui est inquiétant c’est que la situation des shan en Birmanie ne s’améliore pas, comme celles de beaucoup de minorité ethnique d’ailleurs dans cette région du monde. A l’école de Kru Chang arrivent des enfants, tous les jours. Quatre le mois dernier !  Mais voilà, petit à petit les ONG se retirent, estime avoir assez aidé l’école et se désengage. Je ne peux pas les blâmer, mais en même temps la situation des gens ici ne change pas. Même Kru Chang commence à perdre espoir…

     

     Enfants du foyer de Kru NamLorsque je suis dans l’école de Lak Taeng, j’observe les enfants, je joue avec eux…Ces enfants rient, courent,  me font des blagues, viennent me voir : « GOOD MORNING ! »…me pose des questions : « Pi Game,  est ce que dans ton pays il y a des bananes ? est ce que dans ton pays la boxe ca existe ?  »…Je vous assure qu’on se prend très vite à ce genre de question et que moi-même ca m’arrive de demander une dizaine de fois par jour : « est ce que en Thaïlande, il y a … ? » Puis on passe à la séance photos. En Thaïlande c’est assez drôle parce qu’il y a toujours les timides qui tournent la tête dès que je prends une photo et puis il y a les fans des photos qui posent et reposent ! Lorsque je suis là, avec ces enfants, j’ en oublierai presque ce qu’ils vivent, ce qu’ils ont vécu…Pourtant, ce soir, la plupart d’entre eux rentreront chez eux dans le camp de Khung jor, pourtant la plupart d’entre eux ont fuit le Birmanie dans des conditions extrêmes et sont arrivés sans rien en Thaïlande, pourtant beaucoup d’entre eux ont été scolarisé très tard (parfois 12-14 ans), pourtant certains vont devoir quitter l’école très jeune (parfois 12 ans) pour travailler et aider leur famille…Lorsque je suis au foyer du Père Pao, de Kru Nam, c’est le même chose. Pas facile de réaliser chez Kru Nam que ces enfants pleins de vie, il n’y a pas si longtemps étaient sur les trottoirs de Mae sai en train de mendier, certains à deux doigts de se faire vendre pour une poignée de baths…Pourtant ces enfants sont là, cours, rient…Je vous promets que de les voir comme ça s’est une belle leçon de vie.  J’apprends ici à beaucoup relativiser, à prendre les choses différemment. Je réalise chaque jour un peu plus la chance que j’ai d’être née du bon côté. C’est aussi un petit perturbant. Pas facile de comprendre pour quoi sur terre, il y autant de différence entre les gens qui sont nés du bon côté et les autres. Bien sure, ce n’est pas une grande découverte, mais je vous assure que de le voir tous les jours c’est autre chose. Pas facile non plus de se protéger, sans se déshumaniser.

     

    Mais ce que je trouve fou, c’est que dans les situations les plus graves, c’est aussi là que l’ont fait           Petites filles de l'ecole de Lak Taeng les plus belles rencontres, que l’on vit des moments extraordinaires. Vous allez me dire que cette phrase est complètement bateau et je suis d’accord avec vous. Mais en même temps elle est tellement vraie.  C’est marrant comme le pire de l’homme entraine également le meilleur. Depuis que je suis arrivée en Thaïlande, je n’ai rarement été confrontée à autant de misère humaine, rencontré des situations particulièrement difficile. J’en rajoute un peu, parce qu’à Calcutta, c’était déjà pas mal…mais ce que je veux vous dire c’est que je n’ai jamais côtoyé autant de personnes extraordinaires. Depuis plus de 3 mois maintenant, j’ai rencontré des dizaines de personnes donnant leur vie entière pour aider les autres : Kru Chang bien sure, Kru Nam également, le père Pao… C’est facile de donner un petit moment de sa vie, mais se battre tous les jours, consacrer tout son temps aux autres, ne pas baisser les bras, s’oublier parfois, être prêt à accepter les échecs comme les victoires… J’admire sincèrement ces gens et je vous promets que de voir autant d’humanité c’est plus que motivant ! 

    Voilà, il est temps pour moi de vous laisser. Cet article est un petit peu moins anecdotique que les autres, plus difficile aussi… Je m’en excuse. Mais tout cela fait partie de ce que je vis ici et j’avais envie de le partager avec vous. Promis, le prochain sera plus fun, en attendant :

    CHOK DI (bonne chance)!

     

    *La Thaïlande ne reconnaît pas le droit du sol.

    Officiellement, voilà comment on peut obtenir la nationalité thaï : En vertu du Nationality Act de 1965 auquel s’ajoute un décret de 1992, les étrangers qui souhaitent obtenir la nationalité thaïlandaise doivent répondre à plusieurs critères plus ou moins précis: être sui juris (juridiquement indépendant) en accord avec la loi thaïlandaise et de son pays d’origine, avoir un comportement irréprochable, un emploi stable, être domicilié dans le royaume depuis cinq années consécutives, être titulaire d’un certificat de résidence permanente depuis dix années consécutives au moins, être âgé de plus de 40 ans et maîtriser parfaitement la langue thaïe. Une fois ces conditions réunies, le requérant doit alors remplir un dossier de demande de nationalité dont l’acceptation ou le refus est à la discrétion du ministère de l’Intérieur. Attention, la procédure peut durer jusqu’à trois ans.

    **Pour information le PIB pas habitant de la Thaïlande est 7 fois supérieur à celui de la Birmanie. Le PIB par habitant de la Birmanie est équivalent à 1246 USD tandis que celui de la Thaïlande est de 8 642 USD par habitant (en France, il est égal à 28 356 euros, environ 38 140 USD).


  • Commentaires

    1
    Alex MR
    Dimanche 20 Novembre 2011 à 19:59

    Superbe article et magnifiques photos, merci Clémence pour ce beau partage !

    Oui le ton général est parfois grave, mais tu parviens parfaitement à nous transmettre la réalité du terrain et tes émotions. J'ai aussi beaucoup appris, tout en prenant du plaisir à lire certaines anecdotes.  Géniale initiative que ce blog !

    Prends soin de toi et de gros bisous de ton ancien colloc xx

    AMR

     

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